VTC : Les chauffeurs seront-ils un jour des employés comme les autres ?

VTC : Les chauffeurs seront-ils un jour des employés comme les autres ?

  • A intervalles réguliers, la question des conditions de travail et d’emploi des employés ubérisés, notamment les chauffeurs VTC, revient.
  • Une start-up propose ce lundi de leur confier un statut légal d’entrepreneur salarié, moyennant 79 euros mensuels.
  • L’occasion d’avancer un peu plus vers une normalisation de leurs conditions de travail ?

Serpent de mer, objectif inatteignable ou résultat proche ? Le débat sur les conditions de travail des VTC n’en finit plus de revenir sur le devant de la scène. Ce lundi, c’est la start-up Jump qui propose le statut d’entrepreneur salarié en coopérative, un statut légal français, aux 55.000 chauffeurs VTC en France.

« Moyennant la somme de 79 euros par mois (frais fixes), un chauffeur VTC pourra désormais obtenir un contrat d’entrepreneur-salarié au sein de la coopérative Jump, avec l’opportunité d’en finir avec les tâches administratives liées au statut d’indépendant et de bénéficier de toute la protection sociale accordée aux salariés : cotisations chômage, retraite, mutuelle, prévoyance, arrêts maladie, congés paternité et maternité », etc, indique la start-up dans un communiqué.

Une quête d’amélioration des conditions entamée depuis de nombreuses années : des manifestations de chauffeurs à partir de 2016, des procédures dès 2017… La lutte s’organise. « 300 dossiers sont en cours », chiffre Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat SCP VTC, premier syndicat des chauffeurs VTC. Dans un arrêt du 4 mars 2020, la Cour de cassation a requalifié en contrat de travail le statut de travailleur indépendant d’un chauffeur Uber, rappelle Valery Duez-Ruff, avocate spécialiste des conditions de travail : « La règle est claire, le statut indépendant du chauffeur Uber est fictif puisqu’il ne constitue pas sa propre clientèle, ne fixe pas ses tarifs et ne choisit pas ses courses, il existe donc un lien de subordination. Pour autant, la déqualification n’est pas automatique et il appartient à chaque chauffeur de la solliciter. »

Du salariat, pour quoi faire ?

Contacté par 20 Minutes, Uber France rappelle que d’autres procédures n’ont pas permis de définir tout employé VTC comme un salarié. C’est notamment le cas d’un autre arrêt de la Cour de cassation, du 13 avril 2022, concernant un chauffeur « Le Cab ». La Cour a estimé ne pas avoir d’éléments suffisants pour conclure à un lien de subordination.

Le statut de salarié n’est de toute manière pas spécialement envié, à en croire Denis Jacquet, président de l’Observatoire de l’ubérisation. Car certes, le salariat offre des droits, notamment un salaire minimum, « mais les livreurs ou les chauffeurs savent très bien qu’en tant que salariés, ils resteraient au paiement minimum. Le salariat les rendrait précaires toute leur vie, sans possibilité d’évolution » Sans le salariat, il y a donc le risque de gagner moins que le smic, mais aussi l’appât de gagner plus. « Une esthéticienne gagne quatre fois plus en moyenne quand elle n’est pas salariée », illustre Denis Jacquet.

En 2019, Uber publiait les salaires de ses employés en France pour faire taire les critiques : 1.617 euros nets de moyenne par mois pour 45,3 heures hebdomadaires, soit le temps de travail moyen d’une personne non-salariée. Une étude de l’Institut Harris en novembre 2021* montrait ainsi que 80 % des chauffeurs Uber souhaitaient être indépendants à l’avenir, contre 18 % en salariés (et 2 % en intérimaires). Plus de la moitié des chauffeurs interrogés déclaraient avoir choisi de devenir chauffeurs avec Uber pouvoir travailler quand ils voulaient (57 %) et pour pouvoir être leur propre patron (55 %). Des désirs opposés à du salariat. Selon une étude de la Harvard Business School, pour les employés indépendants, perdre la flexibilité est équivalent à une perte de 17 % de leurs revenus.

Mais alors un VTC, c’est quoi en l’état ? Petit cours de droit par Valérie Duez-Ruff : « Un chauffeur VTC relève du secteur artisanal et doit à ce titre être immatriculé au répertoire des métiers. Il peut alors choisir entre deux statuts : exercer sous la forme d’une entreprise individuelle, par exemple en microentrepreneur, ou sous la forme d’une société. » Ce statut non-salarié n’est pas sans défaut : « Le VTC doit s’acquitter de ses charges professionnelles et de santé. Les salariés ont davantage de droits sociaux, comme en matière de santé au travail, mais exercent sous un lien de subordination. »

Des évolutions inéluctables ?

De là à se satisfaire du statu quo actuel ? Absolument pas. « Ce qu’on veut, c’est le choix, plaide Sayah Baaroun. Soit les plateformes font uniquement de la mise en relation, mais ce ne sont pas elles qui décident des prestations et des tarifs, soit elles décident de tout, mais alors nous sommes des salariés ».

Une avancée qui en appelle d’autres, à en croire l’avocate : « Il serait possible d’encore améliorer les droits de travailleurs. Par exemple, les plateformes de VTC pourraient prévoir un tarif minimum garanti ou plus de droits sociaux. » Même assurance chez Sayah Baaroun, pour qui le résultat est proche : « Cela prend du temps car les plates-formes font tout ce qu’il faut pour ralentir les démarches juridiques. Mais on va y arriver, j’en suis sûr. »

Bien plus que le salariat, c’est donc une meilleure protection qui est demandée, atteste Denis Jacquet : « Les professions ubérisées veulent de meilleures conditions. Elles finiront par les avoir, car la société, à l’ère digitale, ne peut plus se passer de ses services. Les gens se sont habitués à se voir livrer à domicile, à rentrer en Uber, à avoir des services qui viennent chez eux… A partir du moment où un service est devenu indispensable, on améliore les conditions pour y travailler. »

*Enquête réalisée en ligne, via une sollicitation par mail d’Uber du 14 octobre au 2 novembre 2021. Consultation auprès de 2284 chauffeurs utilisant Uber issus d’une base de données propriétaire d’Uber.