Covid-19 : « La peur l’a emporté sur la raison et la technocratie sur l’intelligence »

Covid-19 : « La peur l’a emporté sur la raison et la technocratie sur l’intelligence »

Alors que la vie semble doucement reprendre son cours, est-ce déjà l’heure du bilan annonciateur d’une fin de crise proche ? Ou est-ce trop tôt pour tirer les conclusions d’une crise révélatrice de nombreuses failles en France et ailleurs ? Les réponses Denis Jacquet, chef d’entreprise, fondateur de Parrainer la Croissance et de l’Observatoire de l’Ubérisation, auteur de “Covid : le début de la peur, la fin d’une démocratie (Eyrolles)”.

 

Après six mois à voir les rideaux des bistrots, restaurants, cinémas ou encore centres culturels fermés, les Français n’ont pas boudé leur plaisir hier, au moment de la réouverture des lieux dits “non-essentiels”. Malgré les jauges restreintes, les terrasses des cafés ont bien souvent débordé, les files d’attente pour voir les derniers films se sont largement étirées : faut-il y voir une marque d’insouciance ou un retour à la normal qui en est vraiment un ? Louis Daufresne a fait le point ce matin avec Denis Jacquet, chef d’entreprise, fondateur de Parrainer la Croissance et de l’Observatoire de l’Ubérisation, auteur de “Covid : le début de la peur, la fin d’une démocratie (Eyrolles)”.

Face à ce tableau d’une vie qui semble redevenue comme avant, le chef d’entreprise ne se berce pas d’illusion : “La vie reprend son cours, il y a une forme d’insouciance mais la réalité va probablement nous rattraper à un moment donné car la réalité n’échappe pas au temps”. Si le vaccin semble gagner la course contre le Covid-19 avec un nombre de cas de contaminations en net recul partout dans le monde, les conséquences économiques et sociales commencent à se révéler lorsque la vague se retire. “L’Unicef parle déjà de 20 puis 50 puis 137 millions de personnes qui ont retrouvé le seuil de l’extrême pauvreté, constate Denis Jacquet. Les dégâts sont surtout faits aux femmes dans la plupart des pays émergents. Ces femmes qui ont perdu leur emploi en ville se retrouvent à la campagne, alors qu’on avait mis 30 ans à les en extraire pour leur trouver une formation, élever leur niveau de vie et celui de leurs enfants”.

Un constat d’échec pour le gouvernement ?

Lorsque la tempête s’éloigne, c’est aussi un constat d’échec qui se révèle pour l’expert. Un échec dans la gestion de la crise par les gouvernements européens. Alors que la France enregistre à ce jour plus de 100 000 morts du Covid-19 et plus de 5 millions de cas de contaminations depuis le début de la crise, le bilan politique est, selon lui, très mitigé. Il illustre ce constat par l’absence de production d’un vaccin tricolore, alors même que Cuba, qui compte 11,2 millions d’habitants, s’apprête à vacciner sa population avec sa propre production. Le Covid-19 a été un puissant révélateur des manquements des structures de soins françaises. Si les soignants prêchaient jusqu’alors dans le désert, revendiquant un manque de moyens criants depuis des années, celui-ci a été exposé au grand jour dès les premiers jours critiques de la crise : “On se pensait une société bien protégée sanitairement, et on s’est aperçu qu’on était même pas capable de soigner 5000 personnes dans un lit d’hôpital pour 68 millions d’individus car c’est ça la réalité de la crise”.

Certes la crise avait un aspect totalement inédit que les gouvernements ont dû appréhender avec leurs connaissances limitées à l’instant T, Denis Jacquet remarque cependant que certaines mesures auraient pu être évitées, en ne s’entourant pas seulement de technocrates mais aussi de citoyens lambda, des entrepreneures, des artisans, des commerçants, des intellectuels, “on aurait eu des décisions certainement plus éclairées”. Parmi les mesures qui laissent encore un goût amer au chef d’entreprise, la désignation de catégories “non-essentielles” : “le mot est très révélateur d’une arrogance technocratique. La peur l’a emporté sur la raison et la technocratie sur l’intelligence.

Pour s’en sortir, une Europe consolidée

Pour contrer la contagion de la maladie, la contagion de l’autoritarisme n’était certainement pas la solution pour Denis Jacquet, citant en exemple celui de la Suède qui a fait le pari de ne pas instaurer de confinement et qui enregistre moins de morts par habitants qu’en France. Faut-il tout du moins comparer ces pays dont les pratiques sociales ne sont pas toujours les mêmes ?  “Les deux perdants de cette crise sont l’Europe et l’Amérique du sud, conclut-il. Les Etats-Unis vont reprendre car c’est une terre d’innovation, la Chine est repartie sur une courbe de croissance très forte. Nous, il nous faudrait une Europe plus consolidée, plus forte, sans attendre ceux qui traînent les pieds.”